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Le résumé qui précède dresse de façon dépouillée le contenu du roman. Texte qui nous conduit dans la Venise du XVII° où l'art viendra compenser le déclin politique de cette Maîtresse des mers. Le baroque y prolifère, et surtout avant que la peinture ne vienne à nouveau la flatter avec les "vedutisti", elle rayonnera par sa musique. Au travers de l’héroïne du roman, Ilaria, le lecteur découvrira une place avant-gardiste et généreuse faite aux filles grâce au Maestro du violon Antonio Vivaldi. Ilaria, sera ainsi, dès avant sa naissance, destinée à la musique par ses parents et principalement sa mère Francesca qui rêve de ce destin filial. Or la vocation de cette Institution, dite Ospedale, comme d'autres, crée et financée par la République de Venise était d' accueillir les nouveaux-nés filles et garçons abandonnés, les orphelins, les enfants illégitimes, et surtout à parfaire leur éducation dans une société où le sort des filles se limitait à entrer au couvent ou à se marier. Antonio Vivaldi, chef de chœur et compositeur y enseignera son instrument jusqu'à faire d'Ilaria sa copiste. Malgré l'éloignement inhumain des siens, l'enfant, puis l'adolescente y brûlera de ce feu musical, de la renommée de ces jeunes filles que les plus hautes personnalités venaient assidument écouter. Mais les règles strictes imposées par les moniales, l'isolement total de toute vie extérieure, la privation de l'enfance, le spectacle vocal isolé derrière les grilles protectrices, telles un moucharabieh, ne lui ôteront jamais l'envie de connaître la vraie vie. Elle fera de Prudenza Leoni, son amie patricienne, inscrite à des cours, sa complice pour cette initiation. La découverte très furtive de la cité, l'épreuve de l'eau des canaux, et la rencontre avec Paolo, l'animeront d'un autre feu. Léonor de Recondo animée par l'amour personnel de la musique, du violon et la fascination de la Sérénissime nous invite dans "Le grand feu", à partager un tableau historique, social, humain, émotionnel de haute qualité.

Livre dédié aux souvenirs d'une carrière artistique exceptionnelle tant dans la valeur, la surexposition, la renommée que la longévité. Rodolphe Meyer s'est illustré dès son enfance comme un surdoué du violon : À 11 ans il jouait "le Triple concerto de Beethoven au Carnegie Hall". Il le doit sans le moindre doute à son génie de la musique et de l'instrument mais aussi à l'aspiration intraitable d'un père , au "coeur en baïonnette" p. 24 La carrière se poursuit inlassablement jusqu'à s'effilocher dans l'alcool. Il apprend alors le décès de sa grand-mère et l'héritage d'une vieille ferme aveyronnaise qu'il habitera désormais. Et là affleureront au moindre objet, les souvenirs qu'il développera, analysant passé et devenir, dans une forme de syndrome dissociatif . Néanmoins au-delà des quelques personnages qui animent le récit, et surtout de l'enfant prodige, le véritable protagoniste ne demeure-t-il pas l'instrument en soi? Après l'avoir fait jouer sur un Collin-Mézin, le père hésitera pour son enfant, entre un Guarnieri del Gesù et un Milanollo, un Stradivarius de 1728 , optant pour ce dernier. "Je gravissais les dernières marches de la plus haute des pyramides", pensera terrifié l'enfant sous la pression impérieuse du père. Beaucoup plus tard le musicien revendra le précieux Stradivarius pour frotter son archet sur le Lord Wilson, qui n'est autre que le dernier violon de Yehudi Menuhin. Nom inapproprié selon Rodolphe qui évoque "la pompe anglaise, cette politesse et ce chic pluvieux qui ne vont pas à l'italien" p.263. Or la fin de carrière sonne, il s'éloigne du public et pourtant il confessera : "Il me suffisait de sentir sa présence, de vivre avec lui, pour être heureux. Et je crois que je l'ai été." p. 31 L'écriture du livre est le parfait miroir de l'élégance du sujet.

Quête du Graal d'un cinquantenaire, Stan ou rêve depuis sa plus tendre enfance, de retrouver le squelette d'un dinosaure dans la grotte d'un glacier des Dolomites, notre scientifique entraînera dans une aventure à la fois hasardeuse, fragile et dangereuse trois compères, Umberto, Peter et Giò, guide de haute montagne. Le songe commence avec un simple fossile d'ammonite offert en cadeau pour s'amplifier à partir du récit d'une enfant qui croient aux fées sur l'existence d'un effroyable dragon. Une enfance partagée entre la violence d'un père, l'amour tendre et tellement attentionnée d'une mère qui décède trop tôt, un chien pour tout compagnon, puis une vie monotone et désenchantée au quotidien, le pousseront à entreprendre le grand voyage. Ce roman est à la fois un livre d'amitiés partagées, de complicités dans la folie aventureuse, la quête de l'impossible pour s'éloigner de la routine et oublier ses blessures, une introspection douloureuse parce que les souvenirs et surtout les plus cuisants ne s'estompent pas nécessairement, le dépassement de soi, l'accomplissement d'un destin dirigé, voulu. "Youri disait, toujours que le destin d'un homme est de partir. Que ceux qui ne partent pas ne trouvent jamais de trésor". Quel est-il ce trésor et Stan le trouvera-t-il? Livre à mi-chemin entre une des multiples aventures de Sylvain Tesson et du Prix Médicis étranger 2017 " Les huit Montagnes" de Paolo Cognetti . Livre conte, livre onirique, livre fascinant et émouvant, sublimé par l'écriture sensible et juste de J-B. Andréa.

Témoignage à l'état brut d'une jeune bergère, Jbara, née dans une famille nombreuse à Tafafilt, petit village marocain qu'elle définit ainsi :"Tafafilt, c'est la mort"...."le trou du cul du monde". (p.1) Le ton est donné. De fait tout y est mort, misère profonde animale et religion.Très rapidement, parce que trop lucide et rebelle dans l'âme, elle cherchera à combattre cette soumission foncièrement ancrée dans les traditions d'un pays où tout est haram. Dès ces 16 ans et suite à un effroyable événement, résultat d'abus subis depuis des mois, elle sera chassée du giron paternel et commencera alors une longue émancipation au prix de son corps. Libertine, certes, mais par nécessité de survie. Tour à tour, intrépide, résignée, effrontée, servile autant que séductrice, vénale aussi car la survie ou le mieux vivre l'exige, Jbara, qui changera d'identité au fil de ses rencontres masculines et des situations, nous conte par le menu, sans ménagement ni dans le film des ses rapports sexuels, ni dans les mots pour les décrire, pas plus que dans le dégoût ou le plaisir parfois, éprouvé, quelques années de sa vie jusqu'à son mariage apaisant avec un imam anonyme, sexagénaire, polygame. 146 pages triviales, spontanées, nauséabondes souvent, toujours pétries de religion ou plutôt d'une religiosité teintée de superstition. Jbara y invoque en effet, presque à chaque ligne, son Dieu, soit nommément, soit en utilisant des majuscules lorsqu'elle s'adresse à Lui, lors de circonstances des plus ordinaires aux plus scabreuses et sur un ton de défi, de critique forte, de dérision, d'insolence et...d'amour! Texte coup de poing rare!

Livre témoignage, documentaire à partir d'un vécu. Jeune française partie à Tunis, non pas pour jouir du climat ou de soins mais pour participer (comme Femen) à une manifestation, suite au printemps arabe, pour soutenir la cause féministe. Elle sera emprisonnée aussitôt manu militari à la Manouba, peuplée de femmes rebelles pour des motifs divers, dénoncées souvent, criminelles parfois. Les jugements sont précipités et impérieux parce que dans les mains des hommes, exécutés dans l'esprit du patriarcat le plus absolu, dictés par la loi coranique. Les pages de P. Hillier retracent par le menu cette expérience hasardeuse, dangereuse et pourtant tellement attachante où chaque destin féminin des Warda, Hafida, Lina, Samira, La Fuite et tant d'autres qui subissent les quatre murs de la Cellule D ou celles qui dirigent comme La Cabrane, interpelle par sa blessure, sa noirceur, son sort contraire et déjà captif bien avant l'emprisonnement lui-même. La vie est alors à réapprendre, à apprivoiser et à défendre. " Je suis un nouveau-né dans un nouveau monde où les codes m"échappent". Cette rude réalité où se mêlent innocence, roublardise, ingéniosité, hostilité, violence, amitié, se lit avec passion et un désir d'insoumission devant ces lois ancestrales qui s'incrustent voire se développent. Elle incite fortement à la réflexion sur l'inestimable Liberté. Hommage vibrant à toutes ces femmes de l'ombre. La sororité en sort grandie. "J'ai compris aussi que de ces douleurs sourdes naîtra un beau jour la révolte flamboyante qui renversera le monde". Optimiste peut-être, mais au moins pour elle, la vie ne sera plus comme avant! ("Les Contemplées" en écho des "Contemplations", livre de chevet de la protagoniste).

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